nature-2493493_1920 - RÜŞTÜ BOZKUŞ de Pixabay

Solitude immobile

Je suis seul… désespérément seul. Tel un ermite, dans un désert humide et verdoyant, je vis un ennui mortel qui n’a pourtant rien de fatal. J’aimerais tant être vu, savoir qu’on m’a remarqué… pouvoir dire que ma vie n’aura pas seulement été qu’un simple gaspillage de papier. Cette tristesse qui m’habite depuis toujours n’a d’égale que ma nature profonde… et je ne peux rien y changer.

Je vis dans une plaine reculée où l’horizon peint le néant à perte de vue. Le vent pousse l’herbe du terrain vague en lames timides et irrégulières, dans un décor caractérisé par l’absence… de montagnes, de routes ou de rivière. Le mouvement houleux de l’herbe, dans ma direction, est la seule chose qui me donne un peu l’impression d’avancer. Paralysé, c’est l’unique élément de ma vie qui me fait un peu rêver.

Vieux, mais tout de même en bonne santé, je survis dans ce lieu ou rien ni personne ne voudrait aller se perdre. Malgré ma tristesse croissante, le ciel et la terre sont généreux envers moi et je ne manque physiquement de rien. J’ai tout de même la chance de pouvoir tirer profit de tout ce que cette plaine a à offrir. À ce rythme, je pourrais tenir encore bien des années…

Je ne sais même plus mon âge. Je vois les saisons défiler en boucle, les unes après les autres… et les années passent. Les mathématiques ne sont pas ma branche forte,  mais je peux vous dire que ça fait longtemps… très longtemps.

Étant donné mon état, l’observation est ma principale occupation. Sans vouloir m’apitoyer sur mon sort, la triste vérité c’est que rien ne va changer par magie. La nature m’a fait tel que je suis et elle est la seule qui aurait le pouvoir de me déraciner de ma monotonie. Peu importe la perspective, que les nuages se déplacent dans le ciel ou que la terre tourne ; que l’immensité de la voûte céleste nocturne me donne l’impression de flotter à travers les étoiles ou me fasse me sentir encore plus insignifiant… ma réalité se traduit par une progression quasi inexistante, dans un lieu qui ne m’appartient que par manque de concurrence… Et je pleure… Je pleure tout le temps.

Mon vœu est simple : voir si l’herbe est plus verte ailleurs… être libéré de cette insatisfaction qui me caractérise et me courbe l’échine. Si seulement le soleil était la lumière au bout du tunnel : la fin de quelque chose et peut-être… le début d’autre chose. J’aimerais tellement que ce soit le cas ; que ce ne soit pas seulement le fruit de mon imagination fertile. Et je pleure…

Plus le temps passe et plus il m’apparaît évident que je ne serai jamais rieur. Ma présence sur terre n’aura donc servi à rien… Personne ne se sera intéressé à moi, ne m’aura même vu ou remarqué… Loin de mes semblables et de toute civilisation, les oiseaux sont mes seuls compagnons.

Alors que je pleure sans larmes, le ciel d’après-midi s’assombrit comme la nuit naissante, ne laissant filtrer que quelques rayons de soleil sur ma plaine. Des nuages sombres et menaçants roulent dans le ciel. Des orages, j’en ai vu bien d’autres ! Et pour tout dire, je ne connais pas la peur. On dirait toutefois que la pluie contenue dans ces nuages n’est pas composée d’eau claire, mais de matière sombre et visqueuse. Les éclairs percent un ciel roulant sur lui même et ténébreux. J’admire le spectacle, même si je suis bousculé par des vents de plus en plus violents qui vont dans toutes les directions. Bien qu’il m’est impossible de bouger, je ne raterais cette démonstration des forces de la nature pour rien au monde. Ce changement est d’une telle beauté !

Un immense cône descend du ciel. Le vent tournoie et gronde avec une force qui balaie et aspire tout sur son passage. La terre tremble et la plaine est maintenant méconnaissable. La bête fonce sur moi et ne laissera derrière elle qu’un sillon de terre dénudée et des débris de toutes sortes éparpillés un peu partout. La pensée du soleil qui deviendra ma lumière au bout du tunnel m’aurait fait sourire, s’il m’avait été possible de le faire…

La tornade me déracine d’un seul coup de cet endroit et de cette amère solitude; brise tous mes membres et m’arrache à la vie.

De moi, seule subsistera l’âme du pleureur… L’esprit du pauvre saule pleureur qui, jadis, était seul dans sa grande plaine…

 Écrit par Etienne Minier

mai 2001

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